04 décembre 2007

Lettre de Khartoum : une infirmière au Soudan

Je suis Coordinatrice Médicale d’un programme de santé communautaire qui supporte 22 dispensaires au Ouest-Darfour, 21 dans les Montagnes Nuba et 1’autre dans un camp de déplacés dans la banlieue de la capitale. Je ne suis pas directement engagée dans les différents projets mais j’ai la responsabilité des choix stratégiques de l’Organisation pour la gestion de ces derniers. En parallèle je fais partie du trio « directeur » de l’ensemble du programme pour le Nord Soudan. C’est un défi intéressant spécialement au vu du complexe contexte politique du pays. Beaucoup d’heures et de jours passés dans mon bureau à Khartoum. Mais aussi l’opportunité de visites régulières sur les différents sites…
Apres quelques heures d’avion on atterrit à Kadugli dans les Montagnes Nuba, qui font bordure avec le Sud Soudan. Le vert des arbres et la pureté de l’air me font tout a coup réaliser combien la nature me manque dans le désert de Khartoum. La boue et les nids de poules de la piste, les huttes en bâtons, le campement des militaires de l’Union Africaine, les collines et les rochers tatoués SPLM (mouvement rebelle), les enfants qui font coucou sur le bord de la route. Ça fait un bien fou de voir un peu le pourquoi de mes heures passées derrière l’ordinateur. Le temps de visiter une des cliniques et je me retrouve comme à mes débuts sur le terrain. Discuter à travers un traducteur avec le travailleur de santé, jeter un œil sur le cahier de consultations, m’asseoir un moment avec les patients et demander comment va la vie ici… Les mêmes joies, les mêmes difficultés, les mêmes questions et surtout les mêmes souffrances…

Plus tard s’enchaînent différentes réunions pour s’assurer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre les objectifs qu’on a promis aux donateurs et donc aux bénéficiaires. Pour vérifier que nous sommes en accord avec les directives gouvernementales de santé. Mais surtout écouter, avoir une meilleur idée de ce qui se passe sur le terrain et ainsi réorienter mon travail de bureau en ligne avec la réalité.

Plusieurs jours après, je me retrouve dans le petit avion qui me ramène de l’autre côté du pays. Ce jour-là, on tournera en rond au dessus de Khartoum pendant une heure avant de pouvoir atterrir. La piste était apparemment bloquée pour des VIP. Avec le kérosène qu’on aura consommé pendant cette heure perdue peut-être que je devrais songer à planter un arbre pour le sauvetage de la planète…


Quelque part au Darfour, autre visite quelques semaines plus tard. L’hélicoptère nous a déposé à Beida pour 4 jours, nous sommes à 6 Kms de la frontière avec le Tchad. Même visite au centre de santé, d’autres réunions avec les autorités, le personnel de la clinique, l’autre ONG sur place… La routine, les mêmes joies, les mêmes difficultés, les mêmes questions et surtout les mêmes souffrances…

Sauf que cette fois là des VIP (pure coïncidence) sont attendus le lendemain. Je me retrouve partie prenante de cette délégation qui vient prendre pendant quelques heures la température et rapporter à l’occident ce qu’il se passe dans ce coin du monde. Il pleut des cordes. Les autorités locales, les représentants des différentes tribus et tout le reste essaient de trouver un coin où le toit ne fuit pas dans une pièce de l’administration locale. Et je me retrouve a discuter/répondre aux questions d’un Membre du Parlement Britannique qui cherche à parler politique. Je fais ce que je peux avec ce que je sais c'est-à-dire pas grand-chose et le laisse sur sa faim avec probablement une piètre image des travailleurs humanitaires qui eux aussi jouent de la langue de bois…

J’ai bien plus apprécié le déjeuner local qui a suivi. Pieds nus, assis sur une natte autour de plusieurs gamelles, à la Soudanaise. Qui eut cru qu’un jour je me retrouverais à manger sans complexe, mes doigts dans le même plat que Madame l’Ambassadeur Britannique au Soudan tranquillement assise par terre à coté de moi, sans ses chaussures et à discuter de la culture du pays…

Mais le point fort de la journée restera ce verre de thé bu après leur départ sous un arbre du marché. Une vue imprenable sur la rivière, le gazon vert flamboyant et les dizaines de nomades en djellaba blanches marchandant leur bétail. Derrière nous les selles des chevaux/chameaux entassés à la garde de la dame qui prépare ce thé bien trop sucré…Ce thé qui n’étanche pas la soif mais la provoque.

Tout comme la vision de cette réalité de l’extrême ne répond pas aux questions mais les intensifient et les complexifient. Ah si les choses étaient ou noires ou blanches…
Une soirée de plus que l’on passe avec mes collègues/amis de l’équipe. (…)
On parle de l’insécurité qui a fait un retour fracassant au Darfour mais aussi dans les Montagnes Nuba. Apparemment sans grande émotion, comme si cela ne nous touchait pas. Mais quelques minutes plus tard, sans en avoir l’air ce sont les grandes et mêmes questions qui sont sur la table. Pauvreté, Injustice, Souffrance, Pouvoir, Passé, Futur, Foi et notre place dans tout ça...


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