13 juillet 2011

68 raconté à mes petits-enfants (6) Théorie Pratique Théorie


Suite du témoignage de Guy Charoy, après sa découverte de la politique et ses premiers engagements, Guy s'est lancé dans la "vie active" comme instituteur. Il nous a raconté ensuite sa mutation à Badonviller où il s'ennuie ferme mais en profite pour lire et continue à "barbouiller". Il nous a éclairé sur la mouvance d'extrême-gauche qui ne se reconnaît pas dans le Parti Communiste. Une partie des communistes adoptent une attitude pro-chinoise et se tourne vers le maoïsme en critiquant le "révisionnisme" des communistes fidèles à Moscou. Cette tension aboutit à leur exclusion de l'UEC en 1966 et à la fondation de plusieurs groupes marxistes-léninistes hors du PCF. Dans l'épisode précédent, Guy nous parlait du travail de publication et d'illustration du journal de l'UC-ml Garde Rouge. Aujourd'hui il nous parle de la formation théorique reçue dans son mouvement et de l a vie quotidienne du militant.




L’impérialisme et les réactionnaires sont des tigres en papier. C’est le peuple qui est vraiment puissant, et non les réactionnaires.
“Ils soulèvent une pierre pour se la laisser tomber sur les pieds”
Quel que soit le moment où éclatera la guerre civile à l’échelle nationale, nous devons être prêt.
Les masses sont les véritables héros. Servir le peuple de tout coeur sans nous couper un seul instant des masses.
Mao Tsé -Toung
Nous en avions un plein “petit livre rouge”.


À cette époque, commença réellement ma formation théorique. Par la lecture, certes, mais aussi par la participation à des réunions qui avaient lieu toutes les semaines ou presque.
Les rendez-vous avaient lieu au Bar Américain, maintenant Brasserie alsacienne, place André Maginot qu’on appelait plus souvent place Saint Jean.
Au fond de la salle, après avoir longé le bar et laissé sur la gauche les deux billards où j’avais passé de nombreuses heures, quelques années plus tôt, nous pénétrions dans une salle déjà enfumée et sans aération.
Nofal était déjà assis au centre d’une table rectangulaire où une quinzaine de personnes prenaient place. Un garçon venait pour les commandes, bières ou cafés et la séance commençait.
De ces soirées plus qu’austères, au cours desquelles le rire, la plaisanterie paraissaient un crime de lèse-idéologie, une hérésie marxiste-léniniste, il ne me reste que des images sans réel
contenu.

Souvenirs dans le désordre :
Nofal commentait les faits de la semaine et faisait un rapport de ce qu’il avait appris du “National”.
Chacun avait ouvert son Petit Livre Rouge. Une phrase était lue et commentée.
Objectif : nous remettre dans le droit chemin de la Révolution sous la direction du Président Mao.
Nous étions l’Avant-garde au service de la classe ouvrière, concept tout à fait abstrait et dont aujourd’hui la signification de ce qui ne m’apparaissait alors comme une évidence me laisserait aujourd’hui plutôt perplexe.

À l’ordre du jour : commentaires et remarques explicatives sur les informations trouvées dans Pékin-information.
Lecture et commentaire des tracts à distribuer à la sortie des usines.
Injonction explicite à la Gacon, jeune agrégée de philo, de ne pas arrêter juste devant la porte de l’usine sa TR4 rouge (Triumph, voiture décapotable très prisée par les jeunes bourgeois friqués ).

Critiques des nouvelles gravures sur bois : poings trop gros des prolétaires en comparaison de leurs têtes. Le prolétaire a donc tout dans les poings et rien dans la tête. Le très bon camarade, le très bon ami qui me fit cette remarque n’en a plus le souvenir et c’est très bien.

Préparation des interventions dans la rue des Comités Vietnam de Base, dont les militants de l’UJC(ml), seuls militants conséquents devaient être les dirigeants de ces démocrates qui également dénonçaient la guerre et apportaient leur soutien à la "Juste Lutte du Peuple Vietnamien sous la direction du Président Hô Chi Minh".

Fabrication de dazibaos, journaux écrits à grands caractères ( inspirés de la pratique chinoise durant la révolution culturelle ) que nous placions sur des panneaux doubles posés ou portés et transformés ainsi en hommes sandwich. Des photographies de presse montraient les atrocités commises par les GI et les ravages du napalm.

Trois ou quatre militants se regroupaient autour du porteur de panneaux, place Mangin ou à la sortie de supermarchés, et distribuaient des tracts jusqu’à ce que des flics trop insistants nous obligent à quitter les lieux. Une trop grande résistance n’avait comme conséquence qu’une destruction des panneaux et une injonction plus musclée de dégager les lieux. Rien de méchant, mais aucune confrontation musclée n’avait encore eu lieu et les flics ne savaient pas encore ce qu’étaient les Maos, les Trotz’s, les Anars et bien évidemment ils n’avaient jamais entendu parler des Comités Vietnam de base qui étaient pour l’essentiel dans notre activité militante.

Au cours des conseils cantonaux du SNI [1] où j’avais été élu à main levée dans ma section,
je proposais par deux fois à la tribune une motion condamnant sans réserve l’agression américaine au Vietnam, motion qui ne fut même pas proposée aux voix, le mot d’ordre de toutes les tendances étant alors “Paix au Viet-nam”.


Guy Charoy (texte et illustrations)
[Relecture et mise en page : E.Augris]


Bientôt la suite de 68 raconté à mes petits-enfants avec le septième épisode :
"Manif' minimale "

[1] SNI : Syndicat National des Instituteurs de 1930 à 1992. Il était le premier syndicat dans le primaire. Il est devenu le syndicat des Enseignants (SE) au sein de l'UNSA suite à l'éclatement de l'ancienne FEN.


Les autres épisodes de notre série sur Mai 68 à Nancy :Et retrouvez le sommaire du dossier sur l'année 1968 en France et dans le monde.

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